15 septembre 2015

Juridique : Dépistages en entreprises : 3 articles

1. CNOM : Lettre du Conseil National de l'Ordre des Médecins du 03/092012.

Adressé par le Dr Luc Baelde - Pôle Santé Travail

2. Complément ISTNF : Est-il aujourd'hui légalement possible pour un employeur de réaliser un test de dépistage salivaire devant un trouble aigu du comportement d'un salarié ?

septembre 2014
Transmis en février 2015 par le Dr Jacques Deblauwe, Pôle Santé Travail
En complément des infos de Luc sur la position du conseil de l’ordre, je vous donne ci-dessous  la position juridique de l’équipe de l’ISTNF ( Sophie Fantoni et Czuba) en septembre 2014 sur le sujet des tests salivaires, afin de pouvoir compléter votre argumentation. Vous pouvez retrouver ce document sur la base Kalipso de l’istnf …

Est-il aujourd'hui légalement possible pour un employeur de réaliser un test de dépistage salivaire devant un trouble aigu du comportement d'un salarié ?
ISTNF Droit Santé Travail (Organisme )
Date de parution : 09/09/2014
A l'heure actuelle, le législateur ne s'est toujours pas positionné sur cette problématique et n'est pas revenu non plus sur la nature biologique ou non du test de dépistage salivaire.

Or cette distinction a son importance puisque nous savons que seul un médecin peut réaliser un test de dépistage biologique (par exemple : recueil de sang, d'urine ). Contrairement au test de dépistage dit non-biologique (air expiré pour l'alcool) qui peut être effectué par une personne non médecin (par exemple l'employeur ou une personne mandatée par ce dernier).

En 2009, la Direction générale du travail (DGT) s'était néanmoins penchée sur la question en autorisant d'un point de vue théorique l'utilisation par l'employeur de tests de dépistage salivaire, sous réserve de certaines conditions :

- La possibilité d'un tel recours (ainsi que les modalités du dépistage) doit être notifiée au sein du règlement intérieur ;
- Les postes à risques sont identifiés au préalable ;
- Les salariés concernés doivent être informés et doivent donner leur consentement ;

En outre, la réalisation d'un test non biologique (dépistage salivaire en l'occurrence) par l'employeur (ou une personne mandatée) nécessite, d'après la DGT (2009) :
- Que la personne qui l'effectue ait reçu une formation adéquate ;
- L'obligation d'une contre-expertise systématique et nécessairement biologique

Toutefois la DGT n'est pas venue préciser les modalités exactes et concrètes de cette contre-expertise (par qui ? quand ? comment ?). Une certitude quant à cette contre-expertise est que, si elle est obligatoirement biologique, elle doit dès lors être réalisée sous le sceau du secret médical. C'est pourquoi, toujours d'après la DGT (2009), les tests de dépistage doivent avoir une visée exclusivement préventive et non disciplinaire.

Par la suite (2010) la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et toxicomanies devenue MILDECA y Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) avait souligné l'importance d'avoir une position des juges quant à la nature biologique (ou non) de ce test de dépistage salivaire Décision qui pour l'instant (2014) n'est toujours pas parue.

En 2011, le CCNE (Conseil consultatif national d'éthique y avis n°114 du 19 mai 2011) et en 2012, la MILDT sont revenus sur le sujet en entretenant une certaine confusion.

- Selon le CCNE et la MILDT, les tests de dépistage salivaire sont des tests biologiques ne pouvant être pratiqués et interprétés que par le seul médecin du travail.
- Or, toujours d'après la MILDT, la mise en µuvre de tests de consommation de drogues illicites doit être prévue au sein du règlement intérieur. Quid de l'indépendance et de l'autonomie du médecin du travail ?

En effet le médecin du travail doit rester libre de décider ou non de l'opportunité d'un test de dépistage, quelles que soient les attentes d'un employeur à son endroit :

- Cf. Courrier du 3 septembre 2012 du Conseil National de l'Ordre des médecins à la CFE-CGC : en aucun cas, les obligations du médecin du travail ne peuvent résulter du règlement intérieur d'une entreprise. Elles relèvent du code du travail, d'une réglementation spécifique dans certaines domaines et du code de déontologie médicale ».

Si le test de dépistage (quel qu'il soit) est réalisé par le médecin du travail, alors les résultats sont couverts par le secret médical. L'employeur n'est destinataire que d'un avis en termes d'aptitude (ou aptitude avec réserves ou inaptitude, le cas échéant).

On retient enfin que les recommandations pour la pratique clinique de la Société Française d'Alcoologie (SFA) et de la Société française de médecine du travail (SFMT), en 2013, jugent (dans sa recommandation n°12) les tests de dépistage salivaires de stupéfiants insuffisamment fiables (risques importants de faux négatifs et faux positifs)[1]. En effet, plusieurs études montrent que ce type de test s'accompagne de risques non négligeables de faux positifs et de faux négatifs.

Faux positif : un test signale la consommation d'un produit psychoactif que la personne n'a pourtant pas consommé ;
Faux négatif : un test ne révèle pas la consommation d'une substance psychoactive recherchée alors que la personne l'a bien consommée.
En outre la consommation de certains aliments et/ou médicaments peut fausser certains résultats.


En conclusion :
Nous déconseillons à l'heure actuelle le recours au test de dépistage salivaire par un employeur tant pour des raisons éthiques, scientifiques que juridiques. En outre, même si aucun texte ne l'interdit (mais aucun texte ne l'autorise non plus), il est risqué pour un employeur d'avoir recours aux testssalivaires de dépistage de produits stupéfiants. Il existe effectivement certains risques tant éthiques (intrusion de la sphère privée ; faux positifs et faux négatifs ) que juridiques pour employeur d'avoir recours à ce type de tests de dépistage :

Si le test salivaire a été réalisé à des fins préventives dans les conditions listées ci-dessus, cela ne crée (a priori) pas de préjudice

Néanmoins, si l'employeur sanctionne sur la base du test de dépistage salivaire et surtout s'il licencie, les preuves alléguées pour sanctionner le salarié pourraient être déclarées irrecevables car (peut être) obtenues de manière déloyale. La sanction prononcée serait donc injustifiée et le licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire nul s'il a été jugé discriminatoire car pris sur la base d'un état de santé[2].

Compte tenu de ces incertitudes qui les entourent mais également de leur manque de fiabilité, nous déconseillons donc aux employeurs de réaliser eux-mêmes (ou de les faire réaliser par une personne mandatée) les tests de dépistages salivaires.

Equipe juridique - ISTNF

3. Jugement du Tribunal Administratif de Nîmes du 27/03/2014

Transmis en février 2015 par le Dr Jacques Deblauwe, Pôle Santé Travail :

Le T.A. a conclu que « « un test salivaire de dépistage de la consommation de produits stupéfiants qui peut être exécuté par toute autre personne qu'un médecin spécialiste ne saurait constituer un examen de biologie médicale ». d’une part ,  et d’autre part que « le règlement intérieur prévoyant le recours à de tels tests, dans ces conditions précitées, ne porte pas atteinte aux libertés fondamentales des salariés. Il peut ainsi prévoir la possibilité de sanctionner un salarié dont le résultat à ce test serait positif. »

Dans l’attente de l’évolution du droit, je voudrais juste préciser deux éléments importants :

·         Il s’agit d’un jugement du T.Administratif et non d’un arrêt de Cour d’Appel , il ne fait donc pas jurisprudence pour l’instant  (j’ignore s’il y a eu appel auprès de la Cour Administrative d’appel ou du Conseil d’Etat)
·         Le TA admet la possibilité d’une sanction disciplinaire suite à ces tests , mais ne précise pas les conditions d’une contre-expertise, élément pour autant indispensable aux droits de la défense du salarié…

En conclusion, ; un élément important : les tests salivaires  ne sont pas un examen de biologie médicale et peuvent être réalisés par un non médecin , et un «  flou artistique » sur les conditions juridiques d’une éventuelle exploitation des résultats (positifs)  sur un plan sanction disciplinaire.

3 bis : Tests Salivaires suite : annulation de la décision du TA de Nîmes par la CAA (Cour Administrative d'Appel

Transmis en septembre 2015 par le Dr Jacques Deblauwe, Pôle Santé Travail :

Décision in extenso au format pdf :

Résumé par Dr Brigitte SOBCZAK
Médecin Inspecteur Régional du Travail
DIRECCTE Nord - Pas-de-Calais

03 20 96 48 70

La cour administrative d’appel a rendu son arrêt dans le dossier Sud Travaux relatif à l’introduction de tests de dépistage salivaire dans le règlement intérieur. La CAA a retenu la position de la DGT.

(Il n’y aura pas de pourvoi en cassation de la part de l’employeur car la société a disparu.)

La DGT avait, le 4 juin 2014, fait appel du jugement rendu par le tribunal administratif de Nîmes dans l’affaire SUD TRAVAUX.
Bien que cette société ait depuis été radiée du RCS, la CAA de Marseille vient de statuer dans cette affaire. Par arrêt du 21 août, elle a fait droit à la demande du Ministre du Travail et annulé le jugement du TA de Nîmes.

La cour considère que, même s’ils ne sont pas des examens de biologie médicale au sens des articles L. 6211-1 et suivants du code de la santé publique, les tests salivaires ne doivent pas, du fait de leur nature, être traités de la même façon que les éthylotests. Elle relève à cet égard, reprenant les arguments développés par la DGT : 
-          que les tests salivaires consistent en un « prélèvement d’échantillons biologiques contenant des données biologiques et cliniques soumises au secret médical, ce qui exclut qu’ils puissent être pratiqués par supérieur hiérarchique »,
-          qu’ils ne permettent pas de « déterminer un seuil à partir duquel le salarié devrait être regardé comme étant dans l’incapacité de tenir son poste de travail »,
-          qu’ils « peuvent aboutir à de faux résultats positifs ou de faux résultats négatifs dans une proportion non négligeable »,
-          « que la prise de certains médicaments, qui relève du secret médical, peut être susceptible de rendre positif un résultat »

Elle en conclut que le recours à de tels tests, dans les conditions prévues par le règlement intérieur de la société Sud Travaux, c’est à dire en faisant pratiquer ces tests par un supérieur hiérarchique et en prévoyant la possibilité d’une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement en cas de résultat positif, porte, eu égard à l’absence de secret médical et d’une fiabilité suffisante des tests, une atteinte disproportionnée aux droits des personnes et aux libertés individuelles en méconnaissance des articles L. 1121-1 et 1321-3 du code du travail.

En outre, la Cour a considéré, contrairement à ce que soutenait la société Sud Travaux en 1ère instance, que, compte tenu du caractère disproportionné du dispositif prévu par le règlement intérieur, la décision de l’administration « ne porte pas atteinte au respect par l’employeur de son obligation de sécurité et à la préservation de la santé et de la sécurité des salariés ».

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